L’euthanasie

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde »

Albert Camus

 Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde » a écrit Albert Camus.

En nommant « aide à mourir » l’euthanasie et le suicide assisté, en évoquant un geste de fraternité pour ce qui consiste à abréger la vie de quelqu’un parce qu’il souffre ou ne veut plus vivre, en renommant « soins d’accompagnement » les soins palliatifs faits pour soulager ceux qui sont en fin de vie, justement pour les aider à mourir, M. Macron et le gouvernement ajoutent au malheur du monde … 

Même s’il nous affirme le contraire, c’est sans doute le tremblement de son bras qu’il veut masquer en ne nommant pas les choses comme elles sont.

Pire encore, le Président a décidé de confondre dans un même texte ce qui relève du soin, de l’accompagnement vers la mort par les soins palliatifs, et l’euthanasie et le suicide assisté, acte qui transgresse notre civilisation de façon essentielle ; pour faire passer les derniers, il instrumentalise les premiers. 

La violence qui se répand dans notre pays sera alimenté par cette nouvelle loi qui franchit un principe fondamental de nos sociétés : « tu ne tueras point ». Contre l’immense majorité des soignants dévoués à l’accompagnement de nos anciens, contre toutes les religions réunies, et contre les Français si la question leur était, pour une fois, bien posée, une loi légalisant et donc encourageant l’euthanasie et le suicide assisté va voir le jour en France. Naturellement, personne ne veut souffrir, bien sur nous avons peur de la mort, cette grande inconnue, bien sur notre imaginaire nous conduit à penser les pires souffrances au moment de la mort. Mais on ne peut instrumentaliser ainsi ce qui fait l’essence même de notre vie sans bouleverser profondément notre société et nos ambitions de concorde.

Je rêve encore de députés courageux qui sauraient dire non. Et je veux leur proposer ce texte de Henri de Soos, publié en 2022, qu’il met dans la bouche d’une députée. Je reprends le texte tel quel pour ne pas trahir son auteur. Henri de Soos a longuement étudié le sujet pour écrire un livre « L’impasse de l’euthanasie », qui fait le tour exhaustif de cette question si difficile. Chacun pourra transposer à la situation que nous vivons en 2024.

La députée se leva de son siège et monta rapidement à la tribune. Elle avait bien conscience de l’importance de l’enjeu : l’Assemblée nationale terminait l’examen d’une proposition de loi pour légaliser l’euthanasie et le suicide assisté en France. Prenant la parole juste avant le vote final du texte, au titre des explications de vote de son groupe parlementaire, elle avait cinq minutes pour convaincre du bien-fondé de sa position. D’une voix ferme et posée, elle commença son discours :

« Mes chers collègues,

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui vise à modifier en profondeur l’accompagnement de la fin de vie dans notre pays. N’en doutons pas, il s’agit d’un texte majeur qui met en cause notre conception de l’existence, nos valeurs individuelles et collectives, notre rapport à la mort, notre vision de la liberté et de la solidarité.

Au cours de nos débats, nous avons eu l’occasion d’examiner les nombreux arguments présentés par les  partisans de la légalisation de l’euthanasie du suicide assisté. Tous ces arguments méritent attention, même s’ils ne sont pas tous de la même importance. Nous contestons chacun d’entre eux sur le fond, c’est pourquoi notre groupe ne votera pas ce texte.

Vous les partisans de l’euthanasie, vous nous affirmez : « d’autres pays nous ont devancés, leur loi est bien appliquée, il  suffit de les imiter car c’est le sens de l’histoire. » Mais nous, nous constatons que dans les rares pays concernés, une douzaine sur près de deux cents dans le monde, la réalité vécue ne correspond pas à la théorie idéales que vous nous avez décrite. Progressivement, de sérieux glissements éthiques sont mis en lumière :

  • Ce qui devait rester un acte exceptionnel tend à se banaliser  progressivement : dans tous les pays concernés, le nombre officiel d’euthanasies ou de suicides assistés augmente année après année.
  • Ce qui devait conduire à la disparition des euthanasies clandestines, par un encadrement très strict de la loi, se traduit en réalité par la persistance d’un grand nombre de cas non déclarés.
  • Ce qui ne devait concerner que des personnes en fin de vie, très âgées ou atteintes de maladies incurables, tend à s’appliquer même si l’on n’est pas en fin de vie et à tout âge, y compris pour des enfants mineurs dans certains pays.
  • Ce qui devait être vérifié de façon objective, par le corps médical et par des commissions de contrôle, reste en réalité incontrôlable. La mesure des douleurs physiques et surtout de la souffrance psychologique demeurant éminemment subjective, il se révèle impossible de contester la personne qui affirme subir des souffrances dites insupportables.
  • Ce qui devait rester la conséquence d’un choix pleinement conscient, libre et éclairé, devient accessible pour des malades souffrant de dépression, de troubles psychiatriques ou de démence, comme les malades d’Alzheimer. Des détenus en prison en viennent à réclamer ce qui s’apparente à une nouvelle forme de peine de mort.
  • Ce qui devait être concilié avec un fort développement des soins palliatifs se traduit par le détournement de la nature de cet accompagnement médical et humain, avec un flou croissant entre le « laisser mourir » et le « faire mourir ».
  • Ce qui ne devait faire l’objet d’aucune incitation directe ou indirecte, familiale ou médicale, rend à être présenté comme un geste généreux et altruiste s’il est lié à un don d’organe.
  • Ce qui ne devait pas faire obstacle à une réelle liberté de conscience, pour les établissements de soins et le personnel soignant éthiquement défavorable à l’euthanasie, donne lieu à des pressions juridiques et financières croissantes.

En bref, ces pays ont ouvert la boite de Pandore, et il devient impossible de la maîtriser. Loin des intentions initiales affichées, ces législations modifient progressivement en profondeur les valeurs culturelles et les pratiques sociales, au détriment des plus vulnérables. Pourquoi donc faudrait-il que notre pays s’aligne sur le moins-disant éthique de nos voisins ?

Vous nous affirmez aussi : « les sondages d’opinion prouvent que l’immense majorité des Français veulent une loi sur l’euthanasie. » Mais nous, nous avons démontré que votre question habituelle était posée de façon théorique et biaisée. D’autres sondages montrent que la priorité concrète des Français était au contraire, pour eux-mêmes et leurs proches, d’avoir accès à des soins palliatifs de qualité.

Vous nous affirmez par ailleurs : « Des euthanasies clandestines existent en France, seule une loi légalisant l’euthanasie avec des conditions strictes les fera disparaître. » Mais nous, nous constatons que des études ont prouvé que ces pratiques légales continuent d’exister en grand nombre en Belgique et aux Pays-Bas, même vingt ans après. D’autre part, si une loi n’est pas bien appliquée, la solution n’est pas de changer la loi, mais bien de la faire respecter, en sanctionnant si nécessaire les infractions.

Vous nous affirmez encore : « On meurt mal en France, et pour ne plus souffrir en fin de vie, il faut permettre l’euthanasie. » Mais nous, nous refusons le piège d’avoir à choisir entre souffrir beaucoup ou être euthanasié. Une troisième voie est possible et bien plus souhaitable. C’est celle que nous avons choisie avec la loi Leonetti de 2005, celle se soins palliatifs qui fait consensus en France et à l’étranger, et qui devrait être développée beaucoup plus rapidement par le gouvernement.

Les spécialistes considèrent qu’aujourd’hui, quasiment toutes les douleurs physiques peuvent être soulagées, pour peu que les moyens matériels soient donnés et que les équipes soignantes soient formées correctement. Les souffrances morales restent plus difficiles à cerner, c’est vrai, mais la solution réside pour nous dans un bon accompagnement médical et humain, dans une fraternité au quotidien. Non, on peut « tuer par amour », ou alors les mots n’ont plus aucun sens.

L’euthanasie, contrairement à ce que vous affirmez, ne correspond pas à une mort douce et paisible. Derrière les apparences, il y a une violence réelle du geste, pour les soignants qui réalisent l’acte, pour les proches et indirectement toute la société. Les témoignages à ce sujet sont incontestables, mettant en lumière des souffrances psychologiques réelles.

Vous nous affirmez enfin : « Si je perds mon autonomie, je perds ma dignité : autant en finir vite, c’est mon ultime liberté à conquérir. » Mais nous, tout en respectant votre conception philosophique de l’existence, nous ne partageons pas cette vision de la dignité et de la liberté. Nous croyons que la dignité est inhérente à la personne humaine, elle ne peut pas disparaître, même chez les personnes les plus dépendantes. Et nous croyons que la prétendue liberté de se suicider, car c’est bien de cela qu’il s’agit, ne doit pas être organisée et cautionnée par la société.

Si vous avez vécu le drame du suicide d’un proche, vous savez bien qu’en réalité, cette personne n’était pas réellement libre : sa liberté était comme blessée par un mal-être ou un désespoir perçu comme sans issue. Même si malheureusement des personnes se suicident, elles ne peuvent pas, elles ne doivent pas exiger demain que la  société collabore à leur acte ; ou alors, on va aboutir à une contradiction majeure avec toutes nos politiques de prévention du suicide, à tous les âges de la vie.

Ne négligez pas non plus l’impact psychologique insidieux sur les personnes dépendantes ou vulnérables. Si une loi présente l’euthanasie ou le suicide assisté comme une solution bonne et légitime, on risque fort que certaines de ces personnes se sentent de trop et se croient obligées d’y recourir, sous la pression de leurs proches notamment. Ce n’est pas un risque théorique, mais une dérive possible dont certains ont déjà témoigné.

Il est faux aussi, pour terminer, d’affirmer que cette ultime liberté n’enlèverait rien à personne. Au contraire, comme on le constate dans les pays concernés, cette pratique se traduit progressivement par des pressions sur le personnel médical et les institutions qui la refusent, au détriment de leur liberté de conscience. Elle se traduit aussi, comme je viens de le dire, par une violence psychologique sur de nombreux proches qui subissent cette mort imposée.

Chers collègues, nous devons encore améliorer notre accompagnement des personnes en fin de vie, c’est évident. Mais la loi que vous nous demandez de voter, nous en sommes convaincus, constitue une mauvaise réponse à de vraies et bonnes questions. Ne portons pas atteinte au principe fondateur de l’interdit de tuer ! Il représente un des piliers les plus fondamentaux de toute civilisation, de toute vie paisible en société. Ne creusons pas une brèche dans cette digue essentielle qui doit rester infranchissable !

Chers collègues, nous ne voterons pas cette loi, et nous vous demandons de faire de même, en conscience et pour le bien de nos concitoyens. »